Anatomie

d’une bulle

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Le monde économique a basculé dans l’irrationnel

L’ensemble des acteurs privés et publics rêve d’adopter le modèle opérationnel des BigTechs : déléguer la prise décision à des algorithmes opaques qui exploitent systématiquement de larges bases de données.

Ces algorithmes reposent principalement sur des réseaux de neurones profonds, une technique d’apprentissage automatique très spécifique. Stratégie, gouvernance et innovation suivent ce paradigme.

La décennie 2010-2020 voit l’économie succomber à cette fameuse tech, et raisonner par mot-clés. BigData, puis data science et maintenant deep learning..

Des budgets colossaux sont engagés sur des technologies adulées mais largement incomprises. Cette situation est déraisonnable et, heureusement, temporaire. L’histoire de l’intelligence artificielle est faite d’alternance de périodes de surexcitation puis de dépression.

Les hivers succèdent aux printemps. 

Que retiendra-t-on du printemps de l’apprentissage profond ?

En deux minutes

Ce printemps de l’intelligence artificielle est une bulle d’intérêt médiatique. C’est une conséquence directe de l’ouverture du web pour le grand public et de la massification des usages, commencé dans les années 2000. Les principaux acteurs du web sont représentés par les GAFAM nord-américains et leurs pendants chinois (BATX). De nombreuses autres sociétés se sont spécialisées dans les activités en ligne et la manipulation de connaissance et de symboles. Ce modèle d’entreprise est celui des BigTechs. Il est très rentable. 

Ces BigTechs, GAFA en tête, ont dû résoudre de nouveaux problèmes opérationnels rendus complexes par la masse des données, toujours grandissante. Les techniques d’apprentissage automatique, dont font partie les réseaux de neurones, sont les candidats adaptés. Ces outils ont permis des progrès rapides et indéniables notamment en traitement d’image, en classification (produit, service, utilisateur) et en recommandation (article, texte). 

Tout s’accélère entre 2014 et 2016. Yann LeCun, un des principaux acteurs académiques des réseaux de neurones profonds, est recruté par Facebook. DeepMind est acheté par Google en 2014 ; son programme, AlphaGo, écrase un champion humain au go (AlphaGo, 2016), vingt  ans après la victoire d’IBM aux échecs (DeepBlue, 1997). Les médias s’emballent, la bulle est lancée.

Le printemps fleurit. L’ensemble de la sphère économique privée et publique rêve de bourgeons. Entreprises, industries, pouvoirs publics s’imaginent que l’innovation en informatique décisionnelle et  en analyse de données, appelée maintenant tech, passe par ces fameux réseaux de neurones profonds. Comment peut-on croire sérieusement que des solutions adaptées aux problématiques extrêmement spécifiques de Google, Amazon, Facebook soient adaptées à l'ensemble des acteurs économiques ? Quelques rares observateurs s’interrogent. Cette situation déraisonnable dure depuis huit ans. Le roi est nu. Il lui reste une plume, peut-être.

L’intelligence artificielle est un domaine cyclique, rappelons-le. Les hivers succèdent aux printemps. Aux deux printemps passés, celui des systèmes experts (1990s) et celui de l’IA logique (1960s), ont succédé des hivers d’une dizaine d'années. Désillusion, perte d’intérêt du public, arrêt brutal des projets en cours, fin des financements. L’économie classique doit se préparer à ce revirement, inéluctable.

Il y a des motifs de satisfaction, cependant. L’hiver du deep learning ne marquera pas la fin de l’innovation numérique et de l’exploitation des données pour l’industrie, le commerce et les acteurs publics. Les techniciens de la donnée disposent des outils et des compétences pour construire des outils d’aide à la décision performants et efficaces. Le travail technique, artisanal ou industriel, est lent, rigoureux, souvent souterrain. Il n’a que faire des fanfares et trompettes.